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"Tous les organismes vivants sont contaminés" par les microplastiques: une agricultrice varoise brise l'omerta

"Tous les organismes vivants sont contaminés" par les microplastiques: une agricultrice varoise brise l'omerta

Une canette de Coca-Cola défoncée, des morceaux de fibres synthétiques, des déchets plastiques "de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, verts, jaunes, rouges", certains mesurant un bon centimètre, d’autres plus de cinq centimètres.

À Cabasse dans le centre Var, Roselyne Gavoty ne décolère pas: la vigneronne de ce domaine réputé de l’appellation Côtes de Provence a trouvé des macros et microplastiques dans du compost vendu dans le commerce. Elle l’avait acheté en 2021 pour le brûler, comme moyen de lutte contre le gel. Cette technique, courante en agriculture, permet d’enfumer les vignes ce qui crée un nuage artificiel pour protéger les bourgeons des basses températures.

"J’avais entreposé, dans un hangar, 10 tonnes de ce compost que je croyais être organique. En 2024, avec les vagues de froid et les risques de gelées printanières, j’ai formé des monticules aux abords d’une parcelle stratégique, pour orienter la fumée. Je n’ai pas allumé, Dieu merci, il n’a pas gelé! Mais au moment de l’enlever, je suis tombée sur ces plastiques, le monticule en était bourré", raconte la vigneronne, toujours sous le choc.

Clochemerle à Cabasse

Facture à l’appui – dont nous détenons un exemplaire – elle contacte la communauté de communes Cœur du Var, pour s’informer sur la norme NFU 44-095, la référence que lui aurait vendu Valéor, filiale de Pizzorno environnement, qui gère la plateforme de valorisation des déchets verts du Biopôle de la Gagère, à Cabasse. Le service pôle valorisation des déchets de l’écosite Cœur du Var lui confirme, dans un mail, qu’un "certain pourcentage de déchets inertes (plastiques) est autorisé dans le compost" vendu sous cette référence.

Un monde s’ouvre sous les pieds de Roselyne Gavoty: il existe en fait deux composts pour l’agriculture, celui référencé sous la norme Afnor NF U44-095 à base de boues de stations d’épuration, et le NFU 44-051 issu des biodéchets (déchets verts et déchets alimentaires avec ou sans emballages plastiques). Les deux sont soumis aux mêmes seuils réglementaires de polluants: par kilo de compost, les valeurs limites autorisées sont de 11 grammes de plastiques et 20 grammes de métaux et verres. De quoi attiser la colère de la vigneronne. "Je suis en bio, heureusement mon intention n’était pas d’épandre pour fertiliser mes sols, mais de brûler ce monticule. Ce qui me scandalise, c’est d’appeler compost quelque chose qui contient des plastiques polluants, c’est une arnaque, il s’agit quand même de produits vendus avec la bénédiction des pouvoirs publics", lance Roselyne Gavoty qui a décidé de briser l’omerta. Sans connaître le calendrier ministériel…

La dimension des macroplastiques trouvés à Cabasse dépasse largement les seuils habituels. Par macroplastique, on désigne des particules supérieures à 5 millimètres. Photo camille Dodet Camille Dodet Nice Matin.
Une pollution sans frontières

Vendredi 23 mai, cette pollution a été mise au jour, lors de la restitution publique de l’expertise européenne EscoPlastiques, commanditée par les ministères de l’agriculture, de l’environnement et l’Ademe. Mené par le Cnrs (Centre national de la recherche scientifique) et l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), ce travail inédit dresse l’état des lieux des connaissances scientifiques sur l’utilisation des plastiques dans l’agriculture et pour l’alimentation.

Pendant deux ans et demi, un comité de 30 experts européens a été mobilisé pour explorer plus de 4.500 publications scientifiques internationales sur ces matériaux qui sont en contact direct avec nos sols, nos aliments, nos cultures et nos élevages. Selon les auteurs de l’étude, à l’échelle mondiale, la contamination des sols agricoles par les microplastiques, évaluée à 1.000 particules par kilo dans le premier mètre de profondeur, dépasse en tonnage, jusqu’à trois à six fois, celle des océans.

En France, on estime que les sols agricoles renferment 244kg de microplastiques par hectare. Les experts européens ont rappelé qu’il fallait "resituer ces données inédites dans un continuum terre océan", alors que s’ouvrira à Nice, lundi, la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (Unoc). "Les plastiques ont la capacité de se fragmenter, de se dégrader et de ce fait de se disperser. C’est une pollution sans frontière, on retrouve ces particules dans les sols les plus reculés du monde comme les déserts, avec 100 microplastiques par kilo de sol", alerte Bruno Tassin, qui a participé à l’étude collective.

Les emballages alimentaires, 1ers pollueurs

Comment ces particules se retrouvent-elles dans nos sols agricoles? Là encore, les experts ont passé à la loupe l’amont et l’aval de la filière, de la production jusqu’aux modes de gestion et de recyclage des déchets plastiques. Selon les données existantes, 20% des plastiques consommés en France sont destinés aux secteurs agricole (9%) et alimentaire (91%), majoritairement pour l’emballage des aliments et des boissons. Les agriculteurs les utilisent pour conserver les fourrages dans les systèmes d’élevage (73%) et, dans une moindre mesure (9%), pour les cultures horticoles: paillages, tunnels de serre, etc.

"Les sources de contamination des sols sont nombreuses: dépôts atmosphériques, enrobage plastique d’intrants agrochimiques, usure des infrastructures en plastiques utilisées en agriculture, irrigation à partir d’eaux contaminées par les eaux usées, épandage de déchets organiques contaminés de type digestats issus de la méthanisation, boues de stations d’épuration et composts", énumère Bruno Tassin.

C’est là que le problème de notre vigneronne ressurgit. Comment les plastiques, présents en grande quantité dans les vignes de Cabasse, ont-ils pu se retrouver dans le compost incriminé? "Tous les composts ne se valent pas, ça dépend du moment où on trie: en amont, ou en bout de chaîne quand les biodéchets sont criblés puis passés dans des déconditionneurs qui éclatent les emballages, d’où la présence de microplastiques", explique Cédric Davoine, le président des Alchimistes Côte d’Azur. Depuis des années l’entreprise solidaire d’utilité sociale mène un plaidoyer pour faire abaisser les seuils d’inertes autorisés dans le compost, via le décret "socle commun". "S’il était adopté, il permettrait de réduire le total plastiques, verres et métaux à 5 grammes par kilo, versus 31 grammes aujourd’hui", espère Cédric Davoine.

Réponse, depuis les forêts retirées du centre Var, de la vigneronne de Cabasse, Roselyne Gavoty: "C’est un scandale pour la terre: le compost tu le mets sur le sol, donc tu le retrouves dans le sol… Et tu le récupères! Si Valéor réagit et vient le ramasser, je le leur donne, gratos!"

Pizzorno élude la question des plastiques

Hasard du calendrier, Valéor, filiale à 100% du groupe dracénois Pizzorno, que nous avons contacté au téléphone, vient d’être audité positivement par Ecocert (organisme certificateur) pour son compost normé NFU 44-051, ce qui le rend utilisable en agriculture biologique. Les plastiques trouvés chez Roselyne Gavoty, dans le compost facturé par cette entreprise, représentent une pierre dans le jardin d’Hervé Antonsanti, directeur des activités valorisation et traitement pour Pizzorno.

"Je ne veux pas parler d’un cas particulier qui date de 2021, où il faut mobiliser des enquêteurs. Nous commercialisons exclusivement du compost NFU 44-051, issu principalement de déchets verts. Si on a fourni du compost à cette vigneronne, il a subi un processus de fabrication, de contrôle et d’analyses physico-chimiques pour en vérifier la qualité conformément à la norme", affirme-t-il. Y aurait-il eu malversation? Ou vente de compost de qualité inférieure? Dans le secteur de Cabasse, des sources anonymes confirment la vente, par Valéor, de deux références différentes. Nous avons donc posé la question à Hervé Antonsanti: "Il nous est arrivé de produire, de façon très marginale, du broyat de déchets verts, qu’on ne fait que broyer et cribler avant de l’écouler tel quel. C’est admis et réglementaire, mais ce n’est pas du compost! Certains clients en ont acheté et en ont été satisfaits, d’autres pas. Mais depuis plusieurs années, nous avons arrêté cette production ", hasarde le directeur.

À un jet de pierres de là, la vigneronne de Cabasse ne désarme pas: "Valéor élude la question des plastiques, la norme est un faux problème, le scandale c’est la présence de ces matériaux polluants dans un compost fait à partir de matière organique. Cet organisme est censé être porté par une bienveillance à l’environnement, puisqu’il gère les déchets".

En 2021, Valéor a commercialisé 18.000 tonnes de compost NFU 44-051, principalement aux agriculteurs. "Personne n’est jamais venu critiquer le fait qu’il y ait des impuretés en trop grand nombre. Que la cliente nous appelle, qu’elle nous montre et qu’elle nous justifie que nous sommes bien les producteurs du compost en question, et nous trouverons une solution", botte en touche le directeur. Roseline Gavoty, justement, a les preuves. Elle a gardé la facture à l’entête de Valéor. Sur le libellé, on peut lire "Cabasse - vente de compost".

"Tous les organismes vivants sont contaminés"

Leur faible coût, leur légèreté et leur robustesse ont favorisé leur usage intensif dans l’alimentation et l’agriculture à partir des années 1950. Mais les plastiques, et les 16.000 substances chimiques qu’ils contiennent, n’affectent pas que la santé des êtres humains. "Ces micro et nanoplastiques représentent un danger pour la faune et la flore. Ils vont agir comme un véritable radeau qui va voyager dans la chaîne alimentaire, en circulant dans tous les compartiments environnementaux: eau, air, terre", explique Muriel Mercier-Bonin, pilote scientifique Inrae et directrice adjointe de l’Unité Toxicologie alimentaire de Toulouse. Agissant comme un "cheval de Troie", ces particules véhiculent des substances toxiques, comme des métaux ou des polluants chimiques, à l’instar des phtalates et du Bisphénol A, reconnus comme perturbateurs endocriniens. Ils sont réglementés au niveau européen, mais présents dans nos sols. "Avec cette étude, nous avons rendu visible ce qui est invisible", alerte la spécialiste.

L’expertise EscoPlastiques sera rendue publique avant l’été (consultable sur https://esco-plastiques-agri-alim.colloque.inrae.fr/). "On ne peut pas mettre ces données dans un placard. Ce que l’on sait déjà, c’est que les pouvoirs publics vont l’utiliser pour définir la position française, dans les futures négociations sur le traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique", se félicite Guy Richard, directeur de l’expertise collective à l’Inrae.

La prochaine session du Comité de négociation intergouvernemental (INC-5.2) se tiendra du 5 au 14 août à Genève.

Var-Matin

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